Le mal d’écrire
DEUX LIVRES DONNENT À ENTENDRE LA VOIX GRAVE ET PROFONDE DU POÈTE JULIEN BOSC, DÉCÉDÉ L’AN DERNIER
Auteur
d’une œuvre importante comportant récits, proses et poésies, Julien
Bosc fut aussi le fondateur des éditions Le Phare du Cousseix, créées en
2013. Deux livres posthumes témoignent de son écriture hautement
exigeante. De l’une à l’autre de ces publications, ce sont des accents
au lyrisme noir. Accompagné d’une préface d’Édith de la Héronnière ainsi
que d’une peinture de Cécile A. Holdban, Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa
se présente comme le chant d’une passion amoureuse marquée par la folie
et la mort : unique et singulière, la rencontre des amants est
comparable au seul chant mélancolique qui en fait la louange. Tel un
fruit vénéneux, le poème qui narre la beauté de cette passion éteinte,
en dit aussi l’impossible deuil. À la manière des grandes amoureuses
tant évoquées par Rilke, l’amante incarne ici l’amour comme acte de foi
car c’est bien elle qui entreprend par la magie du verbe de redonner vie
à l’amant. Mais ce désir qui s’épuise à dire, tend à cette
« palilalie » et au silence même : « De ce poème qui le maintenait vivant / Je ne sus plus que les premiers mots ». Présenté par un texte de Jacques Lèbre qui rend également hommage au poète si soudainement disparu, La Demeure et le lieu fait résonner une note crépusculaire et des plus sombres. Semblable à un journal de bord relatant les
faits
et gestes quotidiens d’un homme en proie à une lutte intérieure
difficile à surmonter, la description de cette existence retirée atteste
cependant d’un trop-plein de lumière, qui contraste avec une extrême
solitude. Là tout est présence ou absence. Et la conscience de celui qui
contemple, perçoit, ressent, d’emblée qualifiée d’ « exsangue », en
devient d’autant plus pénétrante. Une lampe posée sur la table de
travail donne lieu à des visions hyperboliques : d’élément qui éclaire,
l’objet en
devient ce « phare qui tant et tant tente d’éviter le feu du naufrage ». Il ne s’agit plus que se fier « à l’éventualité d’un poème », dès lors seul contrepoids à la menace d’être emporté : « se
dévêtir de tout comme de soi / souffler la bougie / et /(…) forcer les
ferrures de la langue / ouvrir grand la porte / entrer dans le temps du
poème / accueillir les sèmes à la volée / ne négliger ni les fanaux ni
les amers / écrire à l’estime et / quand plus rien / s’en tenir au
pinceau du phare / — où les rêves occis / / et des bleuets pour
étoiles ». Du moins, cette lucidité hypercritique se risque à
affronter les pensées les plus taciturnes, conjurant celle du suicide, à
plusieurs reprises évoqué : « tous les matins / au sortir du sommeil / la pensée de se pendre ou d’en finir de toute autre façon ». La Demeure et le lieu en acquiert une dimension testamentaire : ce sont là quelques dernières paroles de « cette seule voix qui vaille »,
pareilles aux pierres d’un chemin ayant conduit au lieu même de
l’écriture, mais capter celles-ci dès lors qu’elles s’amenuisent, touche
aux limites de cette quête pleine de tension et de tourment.
Emmanuelle Rodrigues, Le Matricule des anges, octobre 2019
Julien Bosc, Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa, La Tête à l’envers, 74 pages, 16 €
et La Demeure et le lieu, Faï floc, 74 pages, 9 €